Photo © Myriam Catusse
Soutenance de thèse de Déborah Perez
ED 67 - Sciences juridiques et politiques - Aix-Marseille Université
Devenir député dans la Tunisie d’après Ben Ali, sous la direction d’Éric Gobe et de Michel Offerlé.
Lundi 11 janvier 2021, 14h, Sciences Po Aix, Espace Philippe Seguin, salle EPS 003, Aix-en-Provence.
Jury
Éric GOBE, directeur de recherche, CNRS, IREMAM, directeur de thèse.
Michel OFFERLÉ, professeur émérite, Ecole Normale Supérieure, codirecteur de thèse.
Catherine ACHIN, professeure des Université, Université Paris-Dauphine, Paris-Sciences-Lettres, rapporteure.
Imed MELLITI, professeur des Universités, Institut supérieur des sciences humaines de Tunis, Université de Tunis El-Manar, rapporteur.
Myriam CATUSSE, chargée de recherche, CNRS, IREMAM, examinatrice.
Mounia BENNANI-CHRAÏBI, professeure, Université de Lausanne, examinatrice.
Résumé de la thèse (English version below)
Cinq ans après le départ de Zine el-Abidine Ben Ali, la Tunisie s’est dotée d’une nouvelle constitution, et a connu sa première alternance pacifique. Cette réussite est saluée à l’international comme une « exception tunisienne », alors même que de nombreuses voix tunisiennes dénoncent un « hiver islamiste » ou encore un « retour de l’ancien régime ». Ces ressentis exacerbés illustrent les ambivalences, et la radicalité des émotions, des espoirs et des déceptions, propres aux changements de régime. Cette thèse contribue à la sociologie des changements de régimes en proposant une lecture de la trajectoire tunisienne qui fait la part belle aux tensions et aux conflits qui la structurent. Faire l’histoire d’un épisode central du changement de régime tunisien – l’expérience de renouvellement du personnel politique, de la rédaction d’une nouvelle Constitution, et d’une première alternance par les urnes –, permet de montrer comment, par une série de petits actes à bas bruit, les nouveaux acteurs élus en 2011, agissant pourtant dans un cadre neuf, peinent à construire leur légitimité et leur respectabilité. Leurs pratiques donnent à voir simultanément des expérimentations démocratiques mais aussi la réactualisation de manières de faire héritées de l’autoritarisme. Elles conduisent à identifier les germes, les possibles non-advenus, et les futurs possibles d’une restauration autoritaire. En nous appuyant sur un ensemble d’observations et d’entretiens menés entre octobre 2012 et décembre 2016 à Tunis, à l’Assemblée Nationale Constituante pendant la rédaction de la Constitution, mais aussi en circonscriptions, avant, pendant et après les campagnes électorales de l’automne 2014, nous montrons ce que « devenir député » signifie en situation révolutionnaire.
Nous proposons tout d’abord un essai de biographie collective du personnel politique tunisien élu en 2011. Les députés constituants disposent de ressources alternatives (fondées sur l’exil, la prison, l’expérience dans la société civile) à celles de l’élite politique ordinaire tunisienne et tentent de les convertir en capital politique pour s’approprier l’institution. Ensuite nous nous concentrons sur l’action des députés dans un espace constituant qui déborde du cadre strict de l’Assemblée : à partir de l’observation des travaux des élus et de leurs interactions avec la constellation d’acteurs nationaux et transnationaux impliqués dans le processus constitutionnel, nous proposons de revenir sur la fabrique d’une Constitution au concret et sur les ressources mobilisées par les élus pour prendre part aux prises de décision à l’ANC et en dehors. Enfin, nous envisageons, dans la troisième partie, les manières de rester en politique et le travail des élus non seulement dans l’hémicycle mais dans leurs localités : Comment les élus négocient-ils leur réélection et qu’est-ce que l’éligibilité dans un changement de régime ? Comment les constituants qui ne sont pas réélus se reclassent-ils et quels domaines investissent-ils ? Étudier les recompositions des ancrages locaux donne à voir les restructurations du clientélisme et la volatilité des alliances non seulement au sommet de l’État mais encore au plus près des citoyens.
Mots clés en français : changement de régime, profession politique, parlements, Maghreb, révolution, élections.
Five years after Zine el-Abidine Ben Ali was ousted by mass mobilizations, Tunisia has adopted a new Constitution and has experienced its first peaceful alternation of power. This success was hailed internationally as a “Tunisian exception”, whereas many voices in Tunisia denounced an “Islamist Winter” or a “return to the old regime”. These exacerbated reactions illustrate the ambivalence and intensity of the emotions, whether hopes or disappointments, specific to regime changes. This dissertation contributes to the sociology of regime changes by offering a reading of the Tunisian trajectory that sheds lights on the tensions and conflicts structuring it. The Tunisian change of regime is characterized by the renewal of the political body, by the drafting of a new Constitution and by the first peaceful alternation of power following elections. Accounting for this crucial moment requires to unpack the ways in which the newly elected representatives in 2011 have been struggling to build up their legitimacy and their respectability through a series of small and almost unobtrusive actions. Their practices are simultaneously rich in democratic experimentations yet also in authoritarian legacies. They allow for the detection of the early signs of a possible authoritarian restoration, for its non-actualized possibilities as well as its possible futures. Based on a set of observations and interviews conducted between October 2012 and December 2016 in Tunis, at the National Constituent Assembly (NCA) during the drafting of the Constitution, but also in the constituencies, before, during, and after the electoral campaigns of Autumn 2014, we show what “becoming an MP” means in a revolutionary context.
Firstly, we draft a collective biography of the Tunisian political body elected in 2011. Constituent MPs rely on resources (acquired during their experiences of exile, prison and their involvement in NGOs or associations) that are different from those of the traditional Tunisian elite. MPs try to convert such resources into a political capital in order to gain a better grip on the institution. Secondly, we focus on the action of the MPs in the constituent space which is broader than that of the Assembly strictly speaking. We start by observing the work accomplished by the MPs and their interactions with a constellation of national and transnational actors involved in the constitutional process. This allows us to revisit the ways in which a Constitution is concretely elaborated and to reconsider the resources used by elected representatives to take an active part in the decision-making process at the NCA and outside of it. Finally, the third part of the dissertation analyzes what is required from MPs to keep their position in the political field. We consider the work done by MPs not only in the hemicycle but also in their constituencies. How do elected representatives manage to be re-elected ? What does it mean to be eligible during a change of regime ? How do the constituent MPs who are not re-elected adapt to their new environment and in which fields of action do they invest their energy ? Studying the reconfiguration of local anchorages reveals how clientelism is being restructured. It also points to the volatility of alliances not only at the top of the state but also all the way down at the citizen level.
Keywords: elections, members of parliament, regime change, Maghreb, revolution, political skills.