Photos Gérard Groc @ Étienne Copeaux

Photos : Gérard Groc @ Étienne Copeaux

In Memoriam Gérard Groc par Étienne Copeaux

Gérard Groc nous a quittés le 3 août, à l’âge de 71 ans. La nouvelle a stupéfié tous ceux qui le connaissaient : en mars encore, il présentait à la MMSH d’Aix-en-Provence une conférence sur les enjeux des élections en Turquie…

Gérard était un homme de grande et fière stature, un géant moustachu, souriant, optimiste et chaleureux. Il était mon cadet de quelques années mais il était mon aîné en recherche. Je l’avais croisé pour la première fois lors d’un colloque auquel j’assistais, à Strasbourg, vers 1990, alors que j’en étais au tout début de mes travaux sur la Turquie. Son nom m'est vite devenu familier, grâce à ses publications.

Licencié en allemand et en histoire, diplômé de l’IEP de Toulouse, diplômé de turc (INALCO), Gérard a soutenu son doctorat de 3e cycle, dirigé par Robert Mantran, en 1981 - l’année où je découvrais la Turquie. Ce qui lui a valu un contrat de recherche au sein de l’IFEA à Istanbul où il a résidé de 1983 à 1986. En 1995, il obtenait l’habilitation à diriger des recherches (HDR) à Strasbourg.

Il fréquentait régulièrement l’IFEA, et c’est là que nous nous sommes véritablement rencontrés, en 1996 probablement, alors qu’à mon tour j’y étais pensionnaire scientifique. Nous avions tous deux été choisis, pour un travail collectif sur l’islam politique, par l’islamologue Jacques Waardenburg Günter Seufert, qui fut ensuite directeur de l’Orient-Institut d’Istanbul, travaillait également dans le cadre de ce programme. J. Waardenburg, lors du colloque qui s’ensuivit à Istanbul, nous avait présentés comme « trois frères » en recherche. Ce qui s’est avéré très juste par la suite, et pendant longtemps.
Nos rencontres ensuite ont été régulières. J’avais invité Gérard à s’exprimer dans mon séminaire, à l’IFEA, il m’avait rendu la politesse à Sciences-Po à Aix. J’avais tenu à ce qu’il participe au programme de recherches sur « la société civile turque face au nationalisme », un partenariat entre l’IFEA et l’Orient-Institut (dont je choisis de me retirer ensuite), et qui devait le faire venir souvent à Istanbul en 1998-1999. Puis, jusqu’à récemment, il m’invitait dans le séminaire sur la Turquie contemporaine qu’il avait créé à l’IREMAM (Aix-en-Provence).

Gérard était un politologue passionné par la société turque. Passionné également par les contacts humains, il travaillait beaucoup à partir de rencontres et d’entretiens avec les acteurs de tous niveaux de la vie sociale et politique. Il aimait fournir aux autres, souvent plus jeunes, des occasions de s’exprimer, de parler, de publier, au moins autant qu’il publiait lui-même, dans les revues spécialisées. C’est dans cet esprit qu’il dirigeait des thèses, et je fais le pari que s’il acceptait de figurer dans un jury de soutenance, c’était plus en raison de sa grande curiosité pour les travaux nouveaux que pour le prestige. Car il n’était pas un carriériste. Professeur d’allemand dans l’enseignement secondaire, il devait le rester jusqu’à la fin, parcours modeste entrecoupé de détachements administratifs, de contrats temporaires comme chargé de cours (IEP d’Aix-en-Provence, Université de Provence, Université de Marmara, Université de Leipzig), ou chargé de recherche (IFEA Istanbul, CNRS/IREMAM). Je me souviens que, dans la rubrique « auteurs » d’un numéro de la revue CEMOTI, son nom était simplement suivi de l’adresse d’un collège en Normandie…

Très vite, nos relations se sont extraites de la recherche en turcologie, pour devenir tout simplement amicales. Gérard vivait dans la région de Manosque où sa compagne Annick, grande spécialiste de Giono, dirigeait la Maison consacrée à l’écrivain. Ainsi nous avons rendu visite régulièrement au couple et à leurs deux jumelles Camille et Pauline, tandis qu’il nous rejoignait à Lyon, dans les Vosges ou en Drôme, pour parfois se retrouver à Istanbul au hasard de nos occupations respectives. Entre nous, nous parlions peu de la Turquie ou de nos travaux. Nous parlions de la Provence, de maisons, de la maison idéale, de paysages, de la nature haut-provençale, normande ou vosgienne, de Camille et Pauline, que nous adorions tous, de littérature, et de Giono bien sûr. Si la vie nous avait un peu éloignés l’un de l’autre dans les dernières années, nous restions en contact téléphonique ou épistolaire, nous le suivions dans ses voyages en Turquie, en Asie centrale, en Inde…

C’était une belle amitié, profonde et rare dans le monde souvent calculateur, opportuniste, arriviste - tout ce que Gérard n’était pas - de la recherche et des universités. Et malgré la rudesse de ce monde, Gérard ne s’est jamais lassé de la recherche, et sa curiosité, son amour pour la Turquie ne l’ont jamais abandonné. Je n’ai jamais observé chez lui ni grande colère, ni amertume ni ressentiment. Il est toujours resté fidèle à lui-même. Il avait de l’estime pour chacun et oubliait très vite les vicissitudes, au moins dans ses propos. Son parcours témoigne d’ailleurs de son indifférence à l’ambition et à la « réussite ». Je crois que la vraie réussite, pour lui, c’était sa famille, ses filles, les liens d’amitié : la vie, qu’il aimait, plein de santé, avec son optimisme et sa constante bonne humeur. Il est ainsi resté professeur d’allemand, et c’est peut-être dans ses dernières années, libéré de cette tâche par la retraite, qu’il s’est encore le mieux accompli comme chercheur et tuteur aussi, grâce à l’accueil que lui faisait l’IREMAM. 

Il a toujours suivi son chemin.

Son décès a été pour beaucoup un coup de tonnerre inattendu. Ses cendres ont été dispersées par ses filles près de la maison qu’il avait amoureusement restaurée en Normandie.

On trouvera sa biographie scientifique détaillée, et la liste de ses publications, sur le site de l’IREMAM : https://iremam.cnrs.fr/fr/groc-gerard-1952-2023

L'IREMAM remercie Étienne Copeaux pour l'autorisation de republier son texte.