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Photo : Éric Chaumont, capture d'écran © YouTube euronews

In Memoriam Éric Chaumont

Éric Chaumont nous a brutalement quittés le 6 septembre 2021. Ses collègues et amis lui rendent hommage en rappelant dans les lignes qui suivent son parcours exceptionnel.

Né le 26 avril 1960 à Wilrijk (Anvers), Éric Chaumont est issu d’une famille de la bourgeoisie francophone d’Anvers. Il grandit dans un milieu intellectuel favorisé. Son père, Maurice Chaumont, est professeur de sociologie aux Facultés Saint-Louis et à l’Université catholique de Louvain. Dans les années 1960 et 1970, il multiplie les missions dans les pays en voie de développement et emmène parfois Éric avec lui, notamment dans des pays arabes. Ce dernier en reviendra vacciné des illusions tiers-mondistes communes à beaucoup de jeunes gens de sa génération, mais aussi avec un intérêt pour ces pays. En 1978, après un bac scientifique, il démarre un double cursus à l’Université catholique de Louvain pour y apprendre l’arabe et entamer une licence de philosophie.

De 1980 à 1982, il interrompt ses études universitaires pour effectuer un service civil de deux ans, en tant qu’objecteur de conscience, au Collège patriarcal d’Héliopolis au Caire où il obtient un poste de professeur de français. Éric aimait à dire que c’était là sa véritable école, celle qui lui avait enseigné ce qu’était l’islam vécu et qui avait formé son oreille à la langue arabe parlée, langue dont il maitrisera parfaitement la variante égyptienne. C’est à la suite de ce premier long séjour cairote qu’il décide d’approfondir sa formation en arabe à l’Institut pontifical d’études arabes de Rome où il séjournera pendant deux ans, avant de retourner à Louvain pour y reprendre sa licence de philosophie à partir de 1984. Quant au Caire et à l’Égypte, ils resteront ses ports d’attache dans le monde arabe, où il a gardé de nombreux amis et où il est revenu régulièrement par la suite.

Au cours de ces années d’études, il a été particulièrement inspiré par des figures aux approches pourtant discordantes : E. Kant, J.S. Mill, F. Nietzsche, S. Kierkegaard, R. Otto, M. Weber, J. Derrida, M. Foucault, M. Gauchet et L. Strauss. Il obtient sa licence de philosophie en 1986 en présentant un mémoire intitulé La guérison du chercheur d’Ibn Khaldûn. Traduction partielle in princeps, annoté et commentée du Shifâ’ al-sâ’il li-tahdhîb al masâ’il suivie d’un essai sur la critique d’Ibn Khaldûn de la philosophie dans la Muqaddima en relation avec sa pensée religieuse.

Il repart la même année au Caire, toujours comme volontaire de l’enseignement, où il réintègre ses fonctions de professeur de français au Collège patriarcal d’Héliopolis. Les horaires aménagés lui permettent de poursuivre ses recherches. En 1989, il présente un nouveau mémoire à l’Université catholique de Louvain pour l’obtention de son diplôme de licencié en langue arabe et islamologie de l’Institut orientaliste. Il s’intitule La question de l’ijtihâd selon Abû Ishâq al-Shîrâzî. Introduction, traduction partielle des Luma‘ fî usûl al-fiqh d’al-Shîrâzî, notes et index.

Présenté quelques mois plus tard à Daniel Gimaret, il entame sous sa direction une thèse de doctorat dont l’objet principal est la traduction intégrale du Kitâb al-Luma‘. Il s’agit alors de proposer une vision globale de la science des usûl al-fiqh, à une époque où aucun traité n’a encore jamais été traduit dans aucune langue occidentale. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, sa traduction, avec celle de la Risâla d’al-Shâfi’î, est une des seules qui existe. Sa thèse est présentée en mai 1993, à l’École pratique des hautes études de Paris. Elle se compose de quatre volumes : I. Introduction à la lecture des Luma’ fî usîl al-fiqh, II. Edition critique des Luma’, III. Traduction annotée et indexée des Luma’ et V. Essai sur le lexique des Luma’.

La même année, il intègre le CNRS en tant que chargé de recherche deuxième classe et entre à l’Institut de recherche et d’étude sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), à Aix-en-Provence. A partir de là, et parallèlement à ses travaux magistraux en théorie légale qui lui valent une renommée internationale, Éric élargit son champ de recherche dans l’optique de répondre à la demande institutionnelle d’études sur la normativité religieuse. Il fournit également beaucoup de travaux de vulgarisation pour lesquels il est continuellement sollicité. Comme ses publications en témoignent, Éric s’intéresse de plus en plus au lien entre éthique, politique et religion ; il est par ailleurs un des premiers chercheurs francophones à aborder la question du genre en islam. Dans les années 2000, il participe à des programmes de recherche sur le comparatisme entre les trois monothéismes qui seront couronnées de belles publications. Il soutient enfin son habilitation à diriger des recherches en juin 2015, présentant à cette occasion, outre la synthèse de ses travaux antérieurs, une édition partielle inédite du traité de théorie légale d’Abû Bakr al-Bâqillânî, al-Taqrîb wa-l-irshâd.

Ces dernières années, Éric a caressé l’envie de reprendre le chemin de sa recherche initiale sur l’anti-philosophisme en islam, thème qu’il avait commencé à retravailler en le renommant « anti-intellectualisme ». Il projetait de mener une recherche de grande envergure sur cette thématique qui l’animait tout particulièrement.
Éric se caractérisait par un fort esprit critique, aiguisé et souvent provocateur. Les discussions avec lui pouvaient se prolonger fort tard, autour d’un bon repas et de bon vin. C’était un fin gourmet et un excellent cuisinier. Rabelais déclarait pour sa part que « Le jus de la vigne clarifie l’esprit et l’entendement, apaise l’ire, chasse la tristesse et donne joie et liesse ». Éric était rabelaisien en diable, et féru de littérature, de poésie, de photographie et de musique tout autant que de philosophie et d’islamologie. A ses yeux, la réflexion du chercheur et sa capacité à déchiffrer le monde devaient s’abreuver à toutes ces sources de l’esprit et de la sensibilité humaine, et ne pas s’enfermer dans une érudition parfois desséchante pour la créativité. Il restera pour nous l’exemple d’un esprit libre.

Bibliographie

Livres

En langue française

1.    Al-Shaykh Abû Ishâq Ibrâhîm al-Shîrâzî, Le livre des rais illuminant les fondements de la compréhension de la Loi. Traité de théorie légale musulmane, Introduction, traduction annotée et index par Éric Chaumont, Robbins Collection, Studies in Comparative Legal History, Berkeley 1999, 432p.

2.    É. Chaumont avec la collaboration de D. Aigle, M.A. Amir-Moezzi et P. Lory (éds), Autour du regard. Mélanges Gimaret, Peeters, Leuven 2003, XXII+310p.

En langue arabe

3.    É. Chaumont, « Le Kitāb al-luma‘ fī uṣūl al-fiqh d’Abū Isḥāq al-Shīrāzī (m. 476/1083), Introduction, édition critique et index », Mélanges de l’Université Saint-Joseph, LIII [1993-1994], 241p.

4.    Al-Bazdawī, Kitāb fīhi ma‘rifa al-ḥujaj al-šar‘iyya. Livre où repose la connaissance des preuves légales, Introduction, édition et index par M. Bernand & É. Chaumont, IFAO, Le Caire 2003, 21+104p.

Articles et contributions à des ouvrages collectifs 

Théorie légale et théologie musulmane (uṣûl al-fiqh et uṣûl al-dîn)

En langue française

5.    « Encore au sujet de l’ash‘arisme d’Abû Ishâq al-Shîrâzî », SI 74 [1991], p. 167-177.

6.    « La problématique classique de l’ijtihâd et la question de l’ijtihâd du prophète : Ijtihâd, waḥy et ‘iṣma », SI 75 [1992], p. 105-139. Réédité dans G. Picken (ed.), Islamic Law, London 2010.

7.    « Bâqillânî, théologien ash‘arite et usuliste mâlikite, contre les légistes à propos de l’ijtihâd et de l’accord unanime de la communauté », SI 79 [1994], p. 79-102.

8.    « Tout chercheur qualifié dit-il juste ? (Hal kull mujtahid muṣîb) » La question controversée du fondement de la légitimité de la controverse en Islam », A. Le Boulluec (éd.), La controverse religieuse et ses formes, Cerf, Paris 1995, p. 11-27.

9.    « Ijtihâd et Histoire en islam sunnite selon quelques juristes et théologiens », R. Gleave and E. Kermeli (eds.), Islamic Law. Theory and Practice, I.B. Tauris, London & New York 1997, p. 7-23.

10.    « L’ijtihâd et son histoire. Conférences de M. Éric Chaumont », EPHE (Ve section). Annuaire. Résumé des conférences et travaux (1995-1996) 104 [1997], p. 281-286.

11.    « À propos du Kitāb al-radd ‘alā al-Shāfi‘ī attribué à Abū Bakr Muḥammad Ibn al-Labbād al-Qayrawānī (m. 333/944) et des réfutations de Shâfi‘î dans le mâlikisme ancien », Hawting, Mojaddedi & Samely, Studies in Islamic and Middle Eastern Texts and Traditions in Memory of Norman Calder, Journal of Semitic Studies Supplement 12, Oxford 2000, p. 75-84.

12.    « “Le dire d’un compagnon unique (qawl al-wāḥid min l-ṣaḥāba)” entre la sunna et l’ijmā’ dans les uṣūl al-fiqhshāfi‘ites classiques », SI [2001], p. 59-76 [Également édité, sans mon accord et sans aucun soin, dans C. Gilliot & T. Nagel (éds), Das Prophetenhadîth. Dimensionen einer islamischen Literaturgattung, N° spécial de Nachrichten der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen. I. Philologisch-Historische Klass. 2005, Nr. 1, p. 63-69].

13.    « En quoi le maḏhab šāfi‘ite est-il šāfi‘ite selon le Muġīṯ al-ḫalq de Ǧuwaynī ? », Annales Islamologiques 35 [2001], p. 17-26.

14.    « Quelques réflexions sur l’actualité de la question de l’ijtihâd », F. Frégosi (dir.), Lectures contemporaines du droit islamique, Strasbourg 2004.

15.    « “Nous et la Loi des autres” : la question du statut des lois antérieurement révélées en théorie légale sunnite », Droits et culture. Mélanges en l’honneur du Doyen Yadh Ben Achour, Tunis 2008, p. 83-105.

16.    « La notion de compromis en théorie légale musulmane classique », M. Nachi (dir.), L’actualité du compromis. La construction politique de la différence, Paris 2011, p. 215-223.

17.    « La notion de wajh al-ḥikmah dans les uṣūl al-fiqh d’Abū Isḥāq al-Shīrāzī (m. 476/1083) », A.K. Reinhart and R. Gleave (eds), Islamic Law in Theory. Studies on Jurisprudence in Honor of Bernard Weiss, Brill, Leiden 2014, p. 39-53.

18.    « L’autorité des textes au sein du šāfiʿisme ancien. Du Muḫtaṣar d’al-Muzanī (m. 264/878) au Tanbīh d’al-Šīrāzī (m. 476/1083) et du Tanbīh d’al-Šīrāzī au Minhāǧ al-ṭālibīn d’al-Nawawī (m. 676/1277) », MIDÉO, 32 | 2017, p. 53-62.

En langue arabe

19.    « Ḥawla “Kitāb al-radd ‘alā al-Šāfi‘ī” al-mansūb ilā Muḥammad Abī Bakr bn Muḥammad bn al-Labbād al-Qayrawānī wa al-rudūd ‘alā al-Šāfi‘ī ‘inda al-mālikiyya al-mutaqaddimīn », Muḥādarāt multaqā al-Qayrawān markaz ‘ilmī mālikī bayna al-mašriq wa l-maġrib ḥattā nihāyat al-qarn al-ḫāmis al-ḥijrī, Kairouan 1995, p. 319-334.

En langue anglaise

20.    « Stakes in the Negation of the Principle of Abrogation of the Kur’ân by the Kur’ân (naskh al-qur’ân bi-l-qur’ân) in Modern and Contemporary Islamic Legal Theory», à paraître dans les actes du colloque Islamic Law Facing the Challenges of the 21st Century, Van Leer Jerusalem Institute, 20-21 octobre 2009.

Normativité musulmane d’hier à aujourd’hui : éthique, droit et politique

21.    « Legs et successions dans le droit musulman », J. Beaucamp & G. Dagron (éds), La transmission du patrimoine. Byzance et l’aire méditerranéenne, Paris 1998, p. 35-51.

22.    « Éthique économique et islam », Morale économique. Des fondements religieux à l’éthique en entreprise, Aix-en-Provence 1999, p. 119-137.

23.    « Pauvreté et richesse dans le Coran et dans les sciences religieuses musulmanes », J.-P. Pascual (dir.), Pauvreté et richesse dans le monde musulman méditerranéen, Paris 2003, p. 17-38.

24.    « Al-Mâwardî, le Qâdî Abû Ya‘lâ et Les statuts du gouvernement (al-ahkâm al-sultâniyya) », Rives nord-méditerranéennes 19 [2004], p. 75-96.

25.    « Responsabilité de la vue, déontologie du regard et éthique vestimentaire en islam classique », F. Brion (éd), Féminité, minorité, islamité. Questions à propos du hijâb, Louvain 2004, p. 117-130. 

26.    « La notion de ‘awra selon Abū l-Ḥasan b. al-Qaṭṭān al-Fāsī (m. 628/1231) », REMMM 113-114 [2006], p. 109-123.

27.    « Aux origines du droit constitutionnel musulman : la naissance tardive de la siyâsa shar‘iyya », Droit, pouvoir et religion, Tunis 2010, p. 39-46.

28.    « Der Begriff der ‘Awra nach Abû l-Ḥasan ‘Alî b. Muḥammad b. al-Qaṭṭân al-Fâsî », M. Morgenstern, C. Boudignon, C. Tietz (Hg.), Männlich und weiblich schuf Er sie, Göttingen 2011, p. 261-270.

29.    « “God has Ordained Excellence in all Things; When You Put to Death, Do so After a Decorous Manner.” The Implementation of Mandatory Penalties in Islamic Law », K. Berthelot & M. Morgenstern (eds.), The Quest for a Common Humanity, Leiden 2011, p. 327-347.

30.    « Qu’est-ce qu’obéir à la loi de Dieu ? », D. Albera et K. Berthelot (dir.), Dieu, une enquête. Judaïsme, christianisme, islam, ce qui les distingue, ce qui les rapproche, Flammarion, Paris 2013, p. 85-164.

31.    « Dār al-islām et dār al-ḥarb : quelques réflexions à propos de la géographie théologico-politique sunnite classique, en regard du Kitāb al-Muhaḏḏab d’Abū Isḥāq al-Šīrāzī (m. 476/1083) », in G. Calasso et G. Lancioni, Dār al-islām / dār al-ḥarb. Territories, People, Identities, Studies in Islamic Law and Society, vol. 40, Brill, Leiden, 2017, p. 147-158.

Études khaldûniennes

32.    « Notes et remarques autour d’un texte de la Muqaddima d’Ibn Khaldûn », SI 62 [1986], p. 151-157.

33.    « La voie du soufisme selon Ibn Khaldûn. Présentation et traduction du prologue et du premier chapitre du Shifâ’ al-sâ’il », Revue Philosophique de Louvain, t. LXXXVII, Quatrième série 74 [mai 1989], p. 264-296.

34.    « L’égo-histoire d’Ibn Khaldûn, historien et soufi », Académie des Inscriptions & Belles-Lettres. Comptes rendus des séances de l’année 1996 juillet-octobre [1996], p. 1041-1057.

35.    « Voir Dieu en ce monde au regard de la sharî‘a selon Ibn Khaldûn », É. Chaumont avec la collaboration de D. Aigle, M.A. Amir-Moezzi et P. Lory (éds), Autour du regard. Mélanges d’islamologie offerts à Daniel Gimaret, Leuven 2003, p. 213-226.

Entrées d’encyclopédie

36.    Encyclopédie de l’islam (Brill, Leiden, deuxième édition, chaque entrée parue en français et en anglais) :
—    al-Salaf wa l-Khalaf,
—    al-Shāfi‘ī,
—    al-Shāfi‘iyya,
—    al-Shaybānī,
—    al-Shīrāzī,
—    al-Sulamī,
—    al-Ṭabarī,
—    ‘Umra,
—    Wuḍū’,
—    Yatīm.

40.    Encyclopaedia of Islam (Brill, Leiden, Third Edition, en anglais) :

—    Ambiguity.

41.    Dictionnaire du Coran (M.A. Amir-Moezzi (dir.), Robert Laffont, Paris 2007) :

—    Abrogation,
—    Adoption,
—    Apostasie,
—    Droit successoral,
—    Enfance et éducation,
—    Esclave et esclavage,
—    Imitation,
—    Jeu,
—    Mariage temporaire,
—    Ordonner le bien et défendre le mal,
—    Orphelin,
—    Passion,
—    Peines coraniques fixes,
—    Polygamie,
—    Prostitution,
—    Pureté rituelle,
—    Répudiation,
—    Sharia,
—    Usurpation et spoliation,
—    Versets clairs et ambigus,
—    Vin,
—    Voile.

42.    Oxford International Encyclopedia of Legal History (Oxford 2009) :

—    Abrogation of Legal Norms (naskh).

43.    Dictionnaire des faits religieux (R. Azria et D. Hervieu-Léger (dir.), PUF, Paris 2010) :

—    Écoles juridiques en islam.

Recensions

44.    Une trentaine de recensions pour le BCAI, le JESHO, la REMMM et la RHR.

Travaux pédagogiques

45.    100 fiches pour comprendre l’islam, D. De Smet et M. Sebti (dir.), Bréal, coll. « Le monde en fiches », Paris, 2015 :
—    Le droit musulman : présentation générale,
—    Les sources du droit musulman,
—    Les Écoles et les secteurs du droit musulman,
—    Les acteurs du droit musulman,
—    Les droits financier, commercial et pénal,
—    Le statut personnel : droits matrimonial et successoral,
—    La sharia et le fiqh dans les sociétés musulmanes modernes et contemporaines,
—    Le débat contemporain autour de l’application de la sharia,
—    L’adoption.