Iremam-Christian-et-Maria-Graeff

In memoriam Christian Graeff

Christian Graeff est décédé à Aix-en-Provence le 18 mai 2022 à l’âge de 96 ans, trois mois après la disparition de sa femme Maria Graeff-Wassink, sociologue de formation qu’il connut et épousa dans les années cinquante au Liban alors qu’il perfectionnait son arabe. C’est à cette époque qu’est née sa passion du monde arabe et musulman. Il avait auparavant occupé un premier poste comme administrateur au Tchad à la fin des années quarante, dont il gardera le souvenir de longues sorties à dos de chameau avec des chefs de tribus, tout en se livrant à un véritable travail de « juge de paix » pour gérer des conflits territoriaux.

Ambassadeur de France, il commence sa carrière de diplomate comme conseiller à l’ambassade syrienne entre 1967 et 1969, puis il va diriger successivement la mission diplomatique dans la Libye du colonel Khadafi (1982-1985), au Liban (1985-1987) et en République islamique d'Iran (1988-1991), après que François Mitterrand lui avait confié la mission de mener les négociations secrètes à Genève pour renouer les relations rompues suite à l’affaire Gordgi. Ambassadeur atypique, aimant se confronter aux défis, il préfère les points chauds et les missions à risques aux postes confortables et à la diplomatie de salon. Envoyé régulièrement au front, c’est lui qu’on choisit, alors qu’aucun énarque ne voulait aller à Tripoli et encore moins au Liban, pour rejoindre subitement Beyrouth en 1985, au temps de la guerre et des otages, et qu’un de ses prédécesseurs, Louis Delamare, y a été assassiné par le régime syrien. Il se décrivait comme « un dinosaure, une espèce en voie de disparition accélérée » à une époque où la circulation numérique des informations et le contact direct entre les chefs d’Etat avaient fini par démonétiser les ressources de la diplomatie classique.

Retiré et installé à Aix-en-Provence depuis une vingtaine d’années, il était naturel qu’avec un tel parcours et un tel capital de connaissances et d’expériences sur le monde arabe et musulman, il puisse rejoindre 1 la MMSH et notamment 2 l’IREMAM avec lequel il se sentait proche de par les relations personnelles et anciennes qu’il avait nouées aussi bien avec certains de ses directeurs comme André Raymond, Maurice Flory ou Eberhard Kienle, qu’avec des chercheurs comme Gérard Khoury, Jean-Robert Henry ou François Burgat. Intégré en 2001 comme chercheur associé, ainsi que sa femme Maria Graeff-Wassink, elle-même membre de 3 l’AFEMAM depuis sa création, ils ont tous deux participé aux activités scientifiques et éditoriales de l’Institut qui relevaient de leur compétence : interventions à des séminaires, conférences et contributions aux publications périodiques comme L’Année du Maghreb et aux ouvrages collectifs comme La nouvelle Libye, Sociétés, espaces et géopolitique au lendemain de l’embargo, sous la direction d’Olivier Pliez (2004).

Intarissable conteur doté une mémoire extraordinaire, il avait plaisir à dérouler le récit de ses aventures diplomatiques au long cours à ses interlocuteurs, qu’il recevait chez lui à toute heure du jour ou de la nuit, en ne lésinant jamais sur leur confiance, qu’ils soient d’illustres personnages ou de simples citoyens, journalistes, opposants politiques ou même sans-papiers. D’une très grande hospitalité, il aimait multiplier les contacts humains, fussent-ils avec des personnes étrangères à son monde, voire marginales, avec lesquelles il pouvait tisser certaines passerelles et des complicités fructueuses.

Diplomate engagé, Christian Graeff n’a jamais caché ses sympathies pour les droits des Palestiniens, à telle enseigne qu’en 2006, choqués par la guerre au Liban menée par Israël, il se lança avec sa femme depuis Aix dans une ambitieuse initiative : les Brigades internationales pour la paix. Il présida de 2006 à 2014 cette association fondée sur le modèle de l’Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ) et ayant pour objet le dialogue, la rencontre et la coopération interculturelle entre membres d’associations de jeunesse de Chypre (nord et sud), Israël, Liban, Palestine, Syrie… Une démarche louable et volontariste, à l’image de sa personnalité et de son engagement à vouloir créer un réseau de jeunes leaders pacifistes et non-violents dans les sociétés en conflit ou en guerre de Méditerranée Orientale et du Proche-Orient. Ils réussirent ainsi à convaincre le gouvernement chypriote de mettre à leur disposition une villa où seules deux rencontres thématiques purent avoir lieu entre jeunes venus d’Israël, de Palestine et d’autres pays arabes. Dernière corde à son arc, la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques qu’il rejoint en 2000 et dont il exercera  la vice-présidence jusqu’en  2006.

Avec la perte de sa femme Maria en février, Christian Graeff avait perdu une grande part de son énergie vitale et semblé même renoncer à poursuivre sa route en solitaire. Il avait encore ces derniers temps la force d’égrener devant ses visiteurs quelques bribes de sa vie agitée et enrichissante de diplomate, cette vie qu’il n’aura pas eu le temps de coucher par écrit dans sa totalité. En effet il a pu valider, avant de partir, un seul tome de ses mémoires qui devraient être éditées prochainement, mais il reste toute une partie inachevée dont il reviendra à ses enfants Thierry et Nadia d’assurer le destin…

Jean-Claude Santucci, ancien directeur-adjoint de l’IREMAM

1MMSH Maison méditerranéenne des sciences de l’homme
2IREMAM Institut de recherches et d’études sur les monde arabe et musulman
3AFEMAM Association française pour l’étude du monde arabe et musulman