Colloque international "Les féminismes islamiques : de leurs frontières au politique / islamic feminisms: boundaries and politics"
3 & 4 décembre 2009, MMSH d’Aix-en-Provence, salle Georges Duby, sous la responsabilité de Stéphanie Latte Abdallah. Contact : Khadidja Boudine
Le concept de féminisme islamique a fait son apparition dans les milieux universitaires et intellectuels dans les années 1990. Il est forgé à partir de la situation de l’Iran où plusieurs revues, dont Zanan (Les femmes), ont mis en lumière les interprétations sexistes des textes religieux par le clergé, telles qu’incarnées par le droit musulman, et ont participé de l’émergence de travaux de femmes - et aussi de quelques hommes - faisant valoir les droits conférés aux femmes par l’islam : les femmes revendiquent ici un droit à l’interprétation (ijtihad) à même de promouvoir l’égalité des sexes, des rôles nouveaux dans les rituels et les pratiques religieuses, et des changements juridiques. Bien que le terme ‘féministe’ ait rarement été revendiqué par les intéressées, il s’est rapidement propagé pour décrire ces nouvelles pratiques. Il s’agit donc au départ d’un mouvement intellectuel et militant, initié et diffusé d’abord principalement au sein du monde musulman non arabe, qui s’est aujourd’hui globalisé et s’inscrit dans un courant réformateur plus large au sein de l’islam. Au-delà de la seule réflexion théologique ou juridique, et ouvertement militante, nous entendons ici le terme de féminisme islamique dans un sens large. La littérature sur le sujet s’étant jusqu’alors surtout centrée sur la dimension intellectuelle et militante qui a donné son nom au féminisme islamique. S’il n’est pas question d’interroger vaguement le rapport des femmes à l’islam, il s’agit de délimiter les frontières actuelles d’un féminisme islamique qui ne peut plus à présent être circonscrit à la sphère scripturaire. Il s’agit donc de développer une réflexion à la fois sur les nouveaux usages que font les femmes de l’islam, entendu comme une ressource voire comme un nouveau contrat social, que sur des pratiques féministes émergentes, qu’elles soient revendiquées comme telles ou qu’elles appartiennent à ce que l’on pourrait nommer un féminisme informel ou populaire, c’est-à-dire s’exprimant dans des pratiques et des contestations quotidiennes. On se demandera comment se formulent ces appropriations féminines du religieux dans les pays arabes, comme dans d’autres pays musulmans ou au sein de populations immigrées en Europe, et ce dans des contextes d’omniprésence de cette référence dans l’espace social et politique (Iran et Arabie Saoudite) ou de diffusion de ce logos avec la réislamisation des sociétés et des communautés de culture arabe et musulmane. A quoi correspondent-elles quand les références religieuses, parce que plus partagées, sont aujourd’hui marquées par un plus grand pluralisme ? Nous prenons pour objet des émergences récentes et réunirons surtout des travaux en sociologie, anthropologie et science politique même si certaines contributions d’histoire contemporaine permettront d’en retracer les enjeux, le contexte ou les premières formulations. Presque vingt ans après l’apparition du terme, il s’agira donc de réfléchir à ce que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de féminisme islamique : sans s’en tenir uniquement à la manière dont les actrices revendiquent ou non le terme de « féministes » (un terme souvent décrié- ce qui sera interrogé), certaines frontières données pour établies seront reconsidérées. Trois axes majeurs sont proposés, qui ne prétendent pas constituer, à ce stade, la structure définitive du colloque.
Le premier axe lancera le débat en partant de ce que l’on entend le plus communément par féminisme islamique. Il portera ainsi sur le Militantisme intellectuel et la pensée islamique (interprétation des textes religieux et réflexion théorique). Il s’agira surtout ici d’en faire une analyse avec le recul de deux décennies et d’insister particulièrement sur le phénomène mondialisé du féminisme islamique et sur ses interactions avec le monde musulman et surtout arabe, dont les penseurs et intellectuelles ont jusqu’ici fort peu fait partie. Et ce, à deux niveaux. D’une part, des réflexions feront un bilan de son apport intellectuel, de sa réception et de son influence dans les pays et lieux du monde arabe et musulman. D’autre part, des analyses proposeront une sociologie de ses actrices (universitaires, intellectuelles mais aussi prêcheures, quand elles produisent une réflexion textuelle) qui, en ce qui concerne le premier groupe, travaillent le plus souvent aux États-Unis, en Europe, en Malaisie, en Iran ou encore en Afrique du Sud, etc.
Dans le second axe, Militantismes féminin/féministe et enjeux politiques, un certain nombre de frontières actuelles seront contestées ou questionnées. Celle, par exemple, qui est tracée entre un féminisme qui serait séculier et un autre qui serait islamique . Comment analyser le fait que dans nombre de mouvements dits séculiers ou même laïcs, les militantes sont aujourd’hui voilées et pratiquantes ? Que peuvent nous dire les pratiques quotidiennes, les micro-interactions au sein des mouvements et entre eux sur ce partage entre deux types supposés antagonistes de mouvements ? On pense aussi à la frontière posée entre différentes formes de militantisme sachant que les militantismes féministes séculiers ont des enjeux souvent politiques, sont parfois directement liés à des partis ou à des causes, et en ce sens sont à considérer avec un prisme similaire au militantisme au sein de partis dits islamistes (Hezbollah, Front d’Action Islamique jordanien, Hamas…etc.). Surtout, cela suppose d’avoir une lecture politique de ces formes de féminisme islamique, dans des contextes d’opposition ou de positionnements sur différentes causes ou enjeux. A partir de l’observation des pratiques et interactions, on cherchera à comprendre quels sont les enjeux sociaux, politiques, économiques qui sous-tendent ces modes de contestation des ordres établis et dans quel champ, à quelles échelles (locale, nationale, régionale, globale) ils se déploient et empruntent leurs modes de légitimation.
Le troisième axe s’attachera aux Interactions et pratiques féminines dans la sphère religieuse, parfois dans leurs liens au politique. La référence à la norme religieuse sera déconstruite en se demandant par exemple à quel projet réformiste peut-elle servir : un projet libéral ou bien au contraire néo-fondamentaliste . Peut-on parler de féminisme quand les femmes se réfèrent à un logos islamique conservateur (néo-fondamentaliste) pour appuyer leurs trajectoires dans la sphère religieuse notamment ? Quelles sont les limites posées dans ce cadre à leur affirmation ? Pourquoi se saisissent-elles de ces références-là ? Dans quels contextes politiques nationaux, régionaux ou globaux, mais aussi familiaux ou sociaux le font-elles ? Par ailleurs, seront aussi considérées les pratiques quotidiennes de femmes sollicitant d’abord un langage islamique pour servir leurs itinéraires ou choix (féminisme populaire), sans forcément qu’elles aient un rôle public en ce domaine.