Appel à participation Workshop 2023-2024 - "La construction de l’islam en problème public et ses effets sur l’expérience des personnels scolaires minorisés"
Organisé par Lila BELKACEM, maîtresse de conférences en sociologie, LIRTES, UPEC, Fabrice DHUME, professeur de sociologie à l’UCL Louvain, GIRSEF/IACS et Julien GARRIC, maître de conférences en sciences de l’éducation, AMU, IREMAM. Télécharger l'appel
Argumentaire
L’installation, depuis au moins vingt ans, notamment dans les sociétés européennes et nord-américaines, d’une islamophobie structurée par la construction politique de l’islam en « problème » (Antonius, 2002 ; Asal, 2014 ; Morgan, Poynting, 2012 ; Mohammed, 2014 ; Hajjat, Mohamed, 2016 ; Galonnier, 2019 ; Najib, 2022) n’est pas sans répercussions sur les systèmes scolaires. D’une part, à partir de la « première affaire du voile » en France (Ferhat, 2019), la cristallisation politique sur la mise en opposition symbolique du « voile » versus la « (nouvelle) laïcité » a constitué le terrain scolaire en centre de gravité d’une série de polémiques. Les recherches se sont interrogées sur les ressorts nationalistes voire racistes, mais aussi sexistes et classistes, selon une dynamique intersectionnelle, de ces polémiques (Piet, 2012 ; Dhume-Sonzogni, 2016 ; Belkacem, Gallot, Mosconi, 2019). D’autre part, ce contexte, et son traitement par l’administration scolaire centrale (Laborde, 2019) a contribué à légitimer des pratiques, parfois discriminatoires, fondées sur des représentations culturalistes et racistes, dans la gestion scolaire des populations et des situations associées à l’islam (Orange, 2016 ; Simon, 2018 ; Le Meur, 2019 ; Bozec, 2020). La plupart des travaux se sont toutefois penchés prioritairement sur le traitement des publics de l’école ― élèves et parents ―, en laissant dans l’ombre la manière dont les agents scolaires sont concerné.es voire impacté.es par ce contexte et ces pratiques.
Les personnels scolaires ― au sens de tou·tes les professionnel.les travaillant dans l’école publique, quels que soient leurs statuts, fonctions et affiliations salariales ― sont concerné·es par principe par la règle de « neutralité », qui entend pacifier le cadre scolaire. Celle-ci leur impose de ne pas manifester dans le cadre de leur travail d’option pour un système de croyance (politique, religieuse, philosophique), dans le but de protéger la liberté convictionnelle des publics. On peut cependant se demander si la saillance, tant des polémiques visant l’islam que des pratiques de gestion des situations afférentes, a des effets sur les cadres et les contextes de travail. Cette situation interfère-t-elle sur l’adhésion aux règles et normes de l’institution scolaire, en quoi et comment ? Quel effet a-t-elle sur la conflictualité collective dans les « équipes » ? Et bien sûr aussi, quel impact cette situation a-t-elle sur les individu.es identifié·es à l’islam ― soit de façon directe, car déclaré·es ou vu·es comme musulman·es, soit indirectement, car déclaré.es ou perçu.es comme leurs « allié·es » (du fait de soutien aux collègues, d’accusations « d’islamogauchisme », etc.). Que sait-on de ces phénomènes ? Et comment enquête-t-on sur ces questions « sensibles » ?
Plusieurs travaux en cours sur l’expérience minoritaire des personnels scolaires ― qu’iels soient (vues comme) musulman·es ou plus largement racisé·es ― invitent à penser que le contexte décrit ci-avant a, ou pourrait avoir des conséquences dans de multiples dimensions. L’incrimination des pratiques et/ou identités supposées musulmanes des élèves ou des parents aurait ainsi un « effet billard » sur les personnels (Dhume, Bérard, 2023), en établissant au moins implicitement une homologie entre professionnels et publics scolaires, réunis par un commun statut de « stigmatisable » (Goffman, 1975). Par ailleurs, le durcissement des statuts ethno-religieux aurait des conséquences sur la conflictualité directe entre collègues, autorisant notamment l’expression raciste ou antisémite (Fahrat, 2015). Les modes de traitement des questions et des publics hétérodéfini·es ou auto-identifié·es à l’islam pourraient par ailleurs susciter des tensions au sein des collectifs de travail, voire des conflits ouverts, révélant des conceptions morales et politiques divergentes à propos du rôle de l’école. Ou encore, le contexte « post-Charlie » en France pourrait avoir une influence sur le rapport au travail, et par exemple sur l’augmentation d’un sentiment d’(in)sécurité au travail, sur l’investissement (surinvestissement, désinvestissement) de la règle de « laïcité », ou encore sur les manières, pour les personnels, de gérer (la visibilité publique de) leur religiosité (Girin, 2019).
Dans ce cadre, la présente proposition de workshop a pour but de mettre au travail ces hypothèses et/ou questions, dans différents contextes nationaux, et notamment en France, en Belgique ou encore au Québec. En effet, d’une part, la construction de l’islam en problème public a des sources, des références et des résonances mondiales. D’autre part, il apparaît que les objets, les controverses ou polémiques, les idées et la littérature, voire des acteurs et actrices clés de ces processus de politisation de la neutralité/laïcité à l’école, circulent entre les pays. Il s’agira ainsi de confronter les enjeux de recherche, dans diverses situations nationales, sur les problématiques de minorisation raciale/religieuse des personnels scolaires ― selon une dimension intersectionnelle ―, dans des contextes marqués par l’islamophobie, la cristallisation politique et institutionnelle sur la neutralité/laïcité, ou sur des polémiques portant sur l’acceptabilité scolaire des « signes religieux ». Quels effets peut-on documenter ? Compte tenu de la situation, quelle est la singularité éventuelle de la catégorisation « islam/musulman·e » dans l’expérience des personnels racisé·es ? Comment saisir l’hétérogénéité des expériences des personnels « musulman·es » ou perçu·es comme tel·les, selon leur positionnement dans l’espace social, ou encore leur religiosité ? Observe-t-on des configurations singulières selon les contextes scolaires, et/ou selon les contextes nationaux ? Une grille de lecture générationnelle permet-elle d’enrichir l’analyse ? etc.
Cet atelier de travail ― littéralement ― vise moins à exposer des résultats qu’à mettre en discussion, entre chercheur·es intéressé·es par ces problématiques, des recherches en train de se faire. Cet espace de rencontre sera ainsi particulièrement ouvert à la mise en débat d’enjeux épistémologiques et méthodologiques (points de vue situés, construction de l’objet et des questions, accès et construction des terrains, traitement et analyse de données, etc.). Il est ouvert à tou·tes chercheur·es, quelle que soit la discipline, le statut, le niveau d’expérience, l’état d’avancée des recherches. Les réflexions à partir d’enquêtes empiriques y tiendront une place centrale.
Organisation du workshop
Cet atelier visant à tisser des liens entre les problématiques et à partager des questionnements entre chercheur·es, il est conçu sous la forme de deux rencontres (d’une journée et demie chacune), en 2023 puis en 2024, impliquant le même groupe (autrement dit, avec une participation attendue de chacun·e aux deux séances). L’atelier privilégie la rencontre en présentiel afin de favoriser au maximum les échanges et rencontres ; toutefois, pour des chercheur·es que la distance empêcherait, une participation en visioconférence peut être envisagée.
- 1er temps, au campus Condorcet (Aubervilliers, France) : du 26 octobre 2023 à 12h, au 27 octobre à 17h ;
- 2ème temps, à l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique) : du 25 avril 2024 à 12h, au 26 avril à 17h.
Envoi des propositions de contributions
Format : 1 à 2 pages incluant un titre, une présentation : de l’objet de recherche, du protocole d’enquête, de l’état d’avancement de la recherche, des éventuels premiers résultats, et des aspects que vous souhaiteriez discuter collectivement dans le cadre de ce workshop (questionnements, difficultés, avancées, comparaisons, etc.).
Date limite d’envoi des propositions : vendredi 8 septembre 2023.
Les propositions sont à envoyer aux trois adresses suivantes aux trois adresses suivantes : lila.belkacem@u-pec.fr, fabrice.dhume@uclouvain.be, julien.garric@univ-amu.fr
Pour toute question, vous pouvez contacter les organisateur.rices également à ces adresses.
Bibliographie citée
Antonius R., 2002, « Un racisme "respectable" », in Renaud J., Pietrantonio L., Bourgeault G. (dir.), Les relations ethniques en question. Ce qui a changé depuis le 11 septembre 2001, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 253-271.
Asal H., 2014, « Islamophobie : la fabrique d'un nouveau concept. Etat des lieux de la recherche », Sociologie, vol. 5, p. 13-29.
Belkacem L., Gallot F., Mosconi N., 2019, « Penser l’intersectionnalité dans le système scolaire ?», Travail, genre et sociétés, vol. 1, n° 41, p. 147-152.
Bozec G., 2020, « La construction de l’islam comme "problème" dans le champ scolaire. Les enseignant·es, entre prisme culturaliste et gestion pragmatique », Agora débats/jeunesses, vol. 1, n° 84, p. 81-94.
Dhume F., Bérard S., 2023, « Eqtre personnel scolaire racisé·e : formes et signification de l’expérience du racisme au travail dans l’Éducation nationale », Marronnages, n° 2, à paraître.
Dhume-Sonzogni F., 2016, Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme français, Paris, Démopolis.
Fahrat B., 2015, « Voyage dans les "coulisses" de l’ethnicisation de l’expérience scolaire », Chimères, n°85, 75-84.
Ferhat I. (dir.), 2019, Les foulards de la discorde. Retours sur l’affaire de Creil, 1989, La Tour d’Aigues, Enditions de l’Aube / Fondation Jean-Jaurès.
Galonnier G., 2019, « Discrimination religieuse ou discrimination raciale ? », Hommes & migrations [En ligne], n° 1324, p. 29-37.
Girin D.-S., 2019, « Quitter le public pour le privé ? Dilemmes professionnels et religieux chez les enseignants de confession musulmane en France », Sociologies pratiques, n° 39, p. 57-66.
Goffman E., 1975 [1963], Stigmate, les usages sociaux des handicaps management de l’identité discréditée, Paris, Editions de Minuit.
Hajjat A., Mohamed M., 2016, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le "problème musulman", Paris, La Découverte.
Laborde V., 2019, « Le religieux dans le répertoire d’action local de l’Éducation nationale. les praticiens face aux prescriptions centrales », Sociologies pratiques, vol. 2, n° 39,p. 31-43.
Le Meur C., 2019, « Encadrer la religiosité des élèves à l’école depuis 2004. De la loi à sa mise en œuvre », Sociologies pratiques, n° 39, p. 45-55.
Lorcerie F., 2005, La politisation du voile en France, en Europe et dans le monde arabe, Paris, L’Harmattan.
Mohammed M., 2014, « Un nouveau champ de recherche », Sociologie [En ligne], vol. 5, n° 1.
Morgan G., Poynting S. (ed.), 2012, Global Islamophobia: Muslims and Moral Panic in the West, Ashgate.
Najib K., 2022, Spatialized Islamophobia, London, Routledge.
Orange V., 2016, « Les risques discriminatoires d’un usage strict de la laı̈cité dans le cadre scolaire », Les Cahiers de la LCD – Lutte contre les discriminations, n°2, p. 99-118.
Piet G., 2012, « Polémique sur le port du voile à l’école en Belgique : le voile comme argument "épiphénoménal" ? », in Grandjean G., Piet G. (dir.), Polémiques à l’école. Perspectives internationales sur le lien social, Paris, Armand Colin, p. 67-88.
Simon A., 2018, « L’attentat de Charlie Hebdo du point de vue d’élèves dits ‘musulmans’. Etude sur l’action politique de l’école », Agora débats/jeunesses, n° 78, p. 23-40.