Soutenance de thèse de Michele Scala

ED 355 - Espaces, Cutures, Sociétés, Aix-Marseille Université. Spécialité : mondes arabes, musulman et sémitique

Le clientélisme au travail. Une sociologie de l’arrangement et du conflit dans le Liban contemporain (2012-2017) sous la direction de Richard Jacquemond et de Myriam Catusse.

Jeudi 3 septembre 2020, 14h, MMSH, salle Duby, Aix-en-Provence.

Jury

Sophie Béroud, Université Lumière Lyon-2, rapporteure.
Jean-Louis Briquet, Université Paris 1, rapporteur. 
Myriam Catusse, Aix-Marseille Université, IREMAM, examinatrice. 
M. Paul Bouffartigue, Aix-Marseille Université, LEST, examinateur. 
Nizar Hariri, Université Saint-Joseph, examinateur.
Richard Jacquemond, Aix-Marseille Université, IREMAM, directeur de thèse.

Résumé

À bas bruit et après une période d’éclipse, les conflits du travail suscitent à nouveau l’attention au Liban. L’enquête se déploie au sein et autour de deux entreprises localisées mais idéal-typiques du capitalisme contemporain et de ses transformations : Spinneys, société multinationale de grande distribution, leader du secteur au Moyen-Orient ; et Électricité du Liban (EDL), établissement public en voie de privatisation. Toutes deux connaissent en 2012 des mobilisations sans précédent portées par des travailleurs majoritairement précaires et jusqu’alors inorganisés.

Ces deux milieux de travail sont étudiés en mobilisant une approche qualitative fondée sur l’entretien, la conversation et l’observation directe. L’enquête met ainsi en lumière, décortique et analyse la prégnance des relations clientélaires tout au long du procès de travail et jusqu’aux mécanismes qui président aux mobilisations. En se greffant sur d’autres dispositifs visant à l’éclatement du collectif de travail et à la « rationalisation » de ses coûts, le clientélisme entre au travail, accompagne et euphémise l’exploitation. Il produit des attentes et légitime la prise de parole comme la constitution de groupes protestataires.

Cette thèse interroge donc les imbrications entre clientélisme, travail et mobilisations. Elle est traversée par un triple questionnement : comment appréhender ces situations de travail et la mise en marche de mobilisations portées par des travailleurs « à faibles ressources » ? S’agit-il d’une « exception libanaise » et de mobilisations « improbables » ? Et comment appréhender le clientélisme au travail.

D’une part, en proposant une approche attentive à la perspective des « clients » (employés et travailleurs), acteurs oubliés par la sociologie du clientélisme au Liban, l’enquête interroge le clientélisme dans ses rouages. Elle en montre la double vérité : dispositif d’assujettissement en même temps que producteur de sujets, de subjectivités et de résistances ouvertes et discrètes. Ainsi, elle remet en question l’idée d’un clientélisme inhibiteur de l’action collective, instrument de contrôle et gage de stabilité du système politique libanais. D’autre part, en situant l’observation en bas de l’échelle des rapports de pouvoir au travail, elle décrit les symbioses de modes de subordination personnels et impersonnels et montre ainsi comment les équilibres socio-politiques locaux se greffent aux dispositifs productifs mondialisés de la grande distribution et de la libéralisation des marchés publics.

Refusant de considérer ces modes d’(in)subordination comme exceptionnels car liés à un contexte socio-culturel, cette thèse interroge finalement l’idée de dérogation et de norme elle-même, notamment lorsqu’elle est appliquée au travail, à l’emploi et à la mobilisation. Par l’analyse microsociologique, elle s’efforce de montrer la pluralité des formes de subordination et de résistance au travail. Elle suggère que les mobilisations qui s’expriment dans ces espaces de travail ne sont ni « improbables » ni « spasmodiques », mais se modèlent autour de rapports de force réels et contingents, mettant sous tension les relations de clientèle qui les imprègnent. Ainsi, elle invite à prendre acte de l’hétérogénéité du travail, de ses modes d’extraction et de ses formes d’(in)soumission au Liban comme ailleurs.

Mots clés : travail, clientélisme, action collective, économie morale, mondialisation, Liban.

Année
2020
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