Séminaire - Islamologie et sciences sociales : objets, méthodes, pratiques (2021-2022)

Organisé par Anne-Sophie Lamine, professeure des universités, Université de Strasbourg, Sabrina Mervin, directrice de recherche, CNRS, Iremam et Nadjet Zouggar, maîtresse de conférences, Aix-Marseille Université, Iremam.

L’objectif du séminaire est de mettre islamologie et sciences sociales en dialogue, de diverses manières, en reconnaissant la pertinence et la légitimité de toutes les approches et en les décloisonnant; d’interroger nos pratiques et de les confronter dans un but heuristique. Il n’est pas question, d’un côté, de diluer le religieux dans le social ou le politique et, de l’autre, de surdéterminer la variable religieuse. 

Plusieurs pistes de réflexion permettront de mettre en place les échanges. 
- Les textes. Comment revisiter la philologie par les méthodes de l’analyse textuelle et des techniques d’analyse littéraire appliquées aux textes religieux ? Comment l'histoire sociale, l'anthropologie et la sociologie permettent-elles d'éclairer les contextes de production et les processus de réappropriations synchroniques et diachroniques ? Comment l'islamologie peut-elle nourrir les chercheurs en sciences sociales sur le sens des termes, sur le contexte de production des textes, les intentions, les interactions ?

- Les concepts issus des sciences religieuses de l’islam ou dits « islamiques ». Comment les traduire en d’autres langues que l’arabe et, surtout, les transposer, en faire usage dans les sciences sociales ?

- Les catégories des sciences sociales émanant de recherches sur d’autres religions. Comment les appliquer à l’islam pour mieux saisir des faits libellés sous des termes ambivalents ? Comment travailler sur des concepts généraux de sciences sociales en les appliquant aux faits religieux de l'islam ? 

- Les auteurs et les acteurs étudiés tant par les islamologues que par les praticiens des sciences sociales, dans des contextes fort différents, font l’objet d’approches plurielles, parfois ambivalentes ou contradictoires par les acteurs eux-mêmes et par les chercheurs. Comment analyser et discuter la diversité des usages ? 

Ce séminaire se déroulera en visioconférence et simultanément à l'EHESS (le mercredi de 18h30 à 20h30, Campus Condorcet-Centre de colloques, salle 3.09, Aubervilliers), à l'université de Strasbourg et à l'université d'Aix-en-Provence. Il se prolongera par une journée d'études.

Pour s'inscrire, à chaque séance, les participants iront sur le planning et pourront déposer une demande de participation, en présentiel ou en distanciel ou bien directement ICI

Programme

Mercredi 3 novembre 2021, 18h30-20h30 - Séance d’ouverture 

Une présentation de ce séminaire interdisciplinaire (programme, objectifs, enjeux) sera exposée par Sabrina Mervin et débattue. Puis nous écouterons une communication qui sera discutée par Anne-Sophie Lamine avant la discussion générale. 

Avec Haouès Seniguer, IEP Lyon, L'invention de "l'islamisme" ou comment les islamistes arabes ont inventé le mot et le mouvement : quelques pistes de recherche.
L'emploi du vocable  islamisme/islamiste s'est immiscé dans le débat public depuis le début des années 2000 suite aux attentats d'inspiration islamique. L’usage flou et souvent disqualificatoire de ces termes se réfère à divers acteurs, mobilisations, activités sociales ou organisations qui ne correspondent pas à leur sens initial, lié à l’émergence des Frères musulmans en 1928. Les chercheurs eux-mêmes ne s’accordent pas sur leur sens. Après une brève présentation de l'archéologie du vocable et de la diversification de ses emplois, nous proposerons une définition opératoire et nous montrerons la manière dont ces termes sont pensés, perçus, appropriés ou mis à  distance, par les acteurs ainsi désignés.

Mercredi 1er décembre 2021, 18h30-20h30 - L’écrit et l’histoire : deux approches textuelles du Coran

Les communications de cette séance éclairent, sous deux angles différents, sur les nouvelles approches textuelles permettant d’interroger le Coran comme source de sa propre histoire, de celle des débuts de l’islam et plus globalement de la péninsule Arabique de l’Antiquité tardive. Ce, en dépassant certains obstacles que posent l’aspect fragmentaire, obscur et hétérogène du corpus coranique tel qu’il nous est parvenu.

Mehdi Azaiez, UCLouvain, De l’Allocutaire coranique au Muḥammad historique.
Dans un ouvrage collectif paru en 2000 et intitulé The Biography of Muhammad, the issue of the Source, Harald Motzki écrivait : « d’un côté, il n’est pas possible d’écrire une biographie historique du Prophète sans être accusé de faire un usage non critique des sources tandis que, d’un autre côté, lorsqu’on fait un usage critique des sources, il est simplement impossible d’écrire une telle biographie ». S’il existe aujourd’hui un large consensus parmi les historiens pour valider ce constat, il n’est pas inutile d’envisager de nouvelles approches fondées sur une analyse serrée du texte coranique. L’exposé conduira d’abord à identifier puis analyser systématiquement la présence d’un « allocutaire premier » que la tradition islamique identifie comme Muḥammad dans le Coran. Puis, on tentera de déterminer à partir de couches rédactionnelles considérées comme tardives, les traces d’une mise en scène de cette figure par les derniers rédacteurs du Coran. 

Iyas Hassan, Sorbonne université, Le Pacte de Dieu et le Livre des hommes. Ce que l’étymologie nous (dés)apprend de l’histoire du Coran.
Évoquées dès leurs usages coraniques par le biais d’une terminologie ambiguë, les notions de kitāba et de kitāb ont été au cœur de la définition du Coran comme livre, œuvre originellement divine dans une perspective pieuse et, dans une perspective historico-critique, livre formé progressivement à partir d’écrits fragmentaires. Les choix adoptés dans les traductions successives du Coran, que la présente communication abordera brièvement, révèlent une idée centrale de l’écrit, basée sur un regard rétrospectif, parfois anachronique du contexte coranique et adossée à la notion de « religions du Livre » qui inclut l’islam. L’analyse étymologique de termes arabes antiques usités dans le Coran et d’autres termes contenant la racine ktb et forgés durant les deux premiers siècles de l’Hégire suggère toutefois de nuancer la centralité de l’écrit et est susceptible de faire évoluer notre regard sur la formation et l’évolution du Coran. En revenant sur une réflexion développée dans Le religieux le narratif et le littéraire. Coran et exégèse coranique dans l’histoire de la littérature arabe (2019), cette communication interroge ainsi la place de l’approche linguistique dans les études islamologiques.

Mercredi 5 janvier 2022, 16h30-18h30 - Le couple quiétisme/activisme au prisme de la critique et à travers le cas du chiisme contemporain 

Tristan Hillion-Launey (doct. EHESS/CéSor), Thibaud Laval (doct. EHESS/CéSor) et Sabrina Mervin (CNRS/CéSor-EHESS).

Cette séance animée à trois voix vise à interroger la pertinence du couple quiétisme/activisme souvent appliqué au chiisme contemporain. À l’appui de l’islamologie et des sciences sociales, nous discuterons de positions doctrinales et politiques ambivalentes afin d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion. Comment ces catégories sont-elles apparues et ont été utilisées dans le champ académique ? Comment peut-on élaborer de nouvelles manières de saisir les faits en se fondant sur l’étude des doctrines et des pratiques politiques ? Au-delà de la révolution islamique en Iran, l’étude des cas irakien et libanais des années 1950-1970 permet de mettre en lumière des positions théoriques et des formes d’engagement qui ne se résument pas à la seule notion de guidance du théologien-juriste élaborée par Khomeini, ni aux mobilisations révolutionnaires qui en ont découlé. On terminera en examinant la manière dont le marja‘ Ali Sistani, souvent qualifié d’apolitique, fait de la politique.

Mercredi 2 février 2022, 18h30-20h30 - Le couple quiétisme/activisme au prisme de la critique et à travers le cas du sunnisme

Lahcen Daaif, Université Lyon II, Vers un quiétisme activiste : Ibn Hanbal réinterprétant la voie des salaf-s.
Contrairement à la tendance activiste qui avait prévalu au sein du salafisme des deux premiers siècles de l’islam, particulièrement sous les Omeyyades, Ibn Ḥanbal (m. 241/855), tout en cultivant le quiétisme, appelait à une résistance sereine qu’il tenait pour la voie médiane prônée par la majorité des salaf-s face à l'injustice des détenteurs du Pouvoir. Pour ses partisans, son emprisonnement et la flagellation qui en était suivie à cause de son abjuration de la thèse du Coran créé, seraient la parfaite illustration de son quiétisme activiste. L'objet de notre intervention est de présenter les arguments « rationnels » et les preuves scripturaires sur lesquels se fonde cette doctrine, en s’interrogeant sur sa mise en œuvre du vivant d’Ibn Ḥanbal.

Stéphane Lacroix, IEP Paris, Quiétisme et salafisme : questions et mise en perspective théorique.
Dans la littérature scientifique, le courant majoritaire du salafisme est fréquemment qualifié de quiétiste - principalement pour le distinguer de ses variantes politiques et jihadiste. Ce terme, pourtant, est mal adapté, d’une part parce qu’il réduit la diversité du salafisme majoritaire à une unique approche, et d’autre part parce qu’il ne permet pas de penser les relations complexes qu’entretiennent les salafistes à la société et au champ politique. Notre propos cherchera dans la notion de « grammaire d’action » une manière plus féconde de penser ces relations.

Discutant : Oméro Marongiu-Perria, chercheur associé à l’IPRA, Nantes.

Mercredi 2 mars 2022, 16h-18h, en visioconférence.

Ibn Taymiyya comme objet d’étude en histoire et en islamologie

Le nom du théologien juriste hanbalite Ibn Taymiyya mort à Damas en 1328 est devenu incontournable lorsqu’on étudie la pensée musulmane contemporaine. Depuis l’émergence des revivalismes sunnites au XVIIIe -XIXe s. la pensée de cet auteur a fécondé une tradition que l’on désigne aujourd’hui par « salafisme ». Ibn Taymiyya intéresse tant les historiens de l’époque mamelouke que ceux qui étudient le monde musulman moderne et contemporain. Il est également étudié par les islamologues pour son œuvre monumentale et pour l’impact de son œuvre sur la pensée sunnite. Nous approcherons cette figure majeure de l’islam par l’islamologie et l’histoire et nous conclurons la séance par une discussion avec un sociologue et politiste.

Mehdi Berriah, Assistant Professor, Faculty of Religion and Theology, Vrije Universiteit Amsterdam. Ibn Taymiyya dans les sources historiques.
Aussi bien adulé que critiqué, Ibn Taymiyya a été de son vivant, et reste encore aujourd’hui, un personnage clivant. Si ce phénomène s’explique, en partie, par certaines de ses positions sur des questions relatives à la théologie, au droit ou au soufisme et qui provoquèrent d’intenses polémiques, le rôle des chroniqueurs et biographes d’Ibn Taymiyya, aussi bien ses soutiens et détracteurs, est tout aussi important. Ils contribuent fortement à la construction d’une image double : d’un côté, celle de ses soutiens qui le présentent comme le défenseur de la Sunna, du « vrai » islam, le mujāhid combattant à la fois les ennemis de la religion qu’ils soient externes, comme les Mongols, qu’internes avec les innovateurs. De l’autre, celle de ses détracteurs qui le décrivent comme un personnage marginal, chef de secte, rigoriste - voire fanatique -, et le considèrent comme un égaré ou encore souffrant de troubles psychologiques. À partir de la confrontation des chroniques et des notices biographiques, on  analysera ces deux images antagonistes et l'on tentera de faire la lumière sur les éléments pouvant expliquer ce phénomène. 

Nadjet Zouggar, maîtresse de conférences, AMU-IREMAM. Références à la pensée d’Ibn Taymiyya dans le discours religieux wahhabite contemporain.
Ibn Taymiyya est aujourd’hui considéré comme une référence majeure dans la pensée wahhabite. Cela se traduit par l’adoption de certaines de ses doctrines et plus largement de pans entiers de son système de pensée par les adeptes de ce courant.
On examinera la réception de l’œuvre d’Ibn Taymiyya dans les écrits de deux théologiens wahhabites contemporains : Safar al-Ḥawālī et Nāṣir bin Ḥamad al-Fahd. L'objectif est d’appréhender la manière dont la pensée taymiyenne est reçue (quelles doctrines ? quels ouvrages ?) mais aussi s'interroger sur la manière dont sa pensée agit sur l’épistémè de cette école de pensée.
Discutant : Thomas Pierret, CNRS- IREMAM.

Mercredi 6 avril 2022, 17h-19h, en visioconférence. Lien de connexion

La séance sera animée par Anne-Sophie Lamine (SAGE, Université de Strasbourg).

Quand la sociologie décrypte les religiosités musulmanes : comment analyser et nommer les intensités religieuses et leur rapport à l’altérité

Il s’agira dans cette séance d’interroger la pertinence de termes existants en sociologie, tels que l’(in)transigeance, l’intégralisme, le rigorisme ou la radicalité, mais aussi de voir comment les sciences sociales peuvent mobiliser des notions telles que l’orthodoxie, le traditionalisme et le littéralisme. Les deux intervenant·es proposeront leurs pistes de réflexions à partir de leurs approches sociologiques et de leurs terrains d’enquête.

Anne-Sophie Lamine explorera ces questions à partir de son enquête sur l’internet musulman et les prédicateurs-youtubeurs.

Younes Johan Van Praet (LPED, CISMOC, Inalco) offrira un point de vue à partir des pratiques de transmission du savoir religieux notamment au sein de l’offre « madhhabique » francophone (courant se présentant comme ash'arite, soufi, affilié à une des quatre écoles juridiques sunnites).

Les deux intervenant·es se répondront brièvement. Nous espérons que la discussion qui suivra ensuite avec les autres participant.es du séminaire permettra de questionner ces réflexions sociologiques et de les faire dialoguer avec les savoirs islamologiques dans leurs complémentarités.

La suite du programme sera communiquée ultérieurement. À retrouver sur Néobab - Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS