Rencontre-Débat de l’IREMAM - Mercedes Garcia-Arenal et Fernando Rodriguez Mediano
Morisques, orientalisme et histoire. La langue arabe dans l’Espagne moderne (XVIe-XVIIe siècles), Mercedes Garcia-Arenal, Fernando Rodriguez Mediano (Centro de Ciencias Humanas y Sociales, Madrid).
Mardi 22 mai 2012 à 14h30, MMSH, salle Paul-Albert Février. Séance animée par Denis Gril
La recherche de Mercedes Garcia-Arenal et Fernando Rodriguez Mediano part de l'affaire connue sous le nom des "Plomos del Sacromonte", les Livres de Plomb du Sacromonte. Cette expression fait référence à une série de falsifications apparues à Grenade à la fin du XVIe siècle. La première d’entre elles, découverte dans l’ancien minaret de la mosquée de Grenade, le ‘parchemin de la Torre Turpiana’, écrit en arabe, castillan et latin, contenait une prophétie attribuée à Saint Jean et la signature d’un certain Cecilio, premier évêque de Grenade, selon la légende. Un peu plus tard commencèrent à apparaître aux alentours de Grenade des livres gravés sur des feuilles de plomb et écrits en arabe avec des caractères appelés salomoniques. On y parlait de l’apôtre Saint Jacques, de la Vierge Marie et surtout de Cecilio et Tesifón, deux disciples arabes de Saint Jacques qui auraient été les premiers évangélisateurs de l’Espagne. Bien que ces textes contenaient de manière suspecte des propos en accord avec la doctrine de l’islam, une bonne partie de l’église de Grenade, voulut y voir la preuve de l’ancienneté du christianisme en Espagne, bien avant la longue présence musulmane dans la cité et crut en l’authenticité de ces découvertes. Rome déclara finalement le caractère apocryphe de ces livres en 1682.
À partir de cette affaire, qui eut un retentissement extraordinaire dans l'Espagne de l'époque, cette recherche s'est centrée sur le rôle de la langue et de la culture arabes dans l'Espagne moderne. D'un côté, la langue arabe est liée à l'existence en Espagne d'une communauté de chrétiens d'origine musulmane convertis par la force, les morisques, et donc au problème de la construction des identités religieuses dans l'Espagne moderne, dans un fort processus de confessionnalisation autour du catholicisme contreréformiste. Ce n’est pas seulement le problème de l'évangélisation qui est en cause, mais aussi celui de la possibilité de l'existence d'une identité chrétienne arabe. D'un autre côté, l'affaire des "Plomos del Sacromonte" pose la question de l'écriture d'une histoire sacrée de l'Espagne et son rapport avec la rupture représentée par Al-Andalus. La réflexion sur les origines orientales de l'histoire et des langues de l'Espagne fait référence à la Bible et contient aussi la possibilité de construction d'un savoir érudit sur l'orient. À l'instar de ce qui se passe en Europe à cette époque, ce savoir développe des instruments philologiques et historiographiques critiques qui finissent par mettre en doute le système d'autorité textuelle.